avant-propos
C’est l’anté- d’antévisager, le -drome d’anthropodrome, l’en- d’emplevoir, le -iste de calorifiste, le -an d’antiquan, le re- de replatonisme, le -ard de rablaisard, le sur- de surlire, le -ment de démocratisement, le dys- de dysthèse, le -âtre d’américanâtre, le pro- de procuisson, le -ien d’espagnien, l’inter- d’intervaincre, le -eur d’habiteur. C’est le -er de mourrer, le dé- de détrumpisme, l’ex- d’exard, le -al de sceptical, l’anti- d’anti-peine, le -vore de parrivore, l’hétéro- d’hétéroglotte, le -ant de boulangeant, le contre- de contre-anxiolytique, le -at de solidariat.C’est le para- de paravers, le -tion de sondation, le -ure de crachure, le myria- de myrianitrique, l’ab- d’absoiffer, le -ot de fortot, le mé- de méstationner, le -ir de feutrir, le pré- de prétaire, le supra- de supragrade, le télé- de télétraumatiser, le -ache de simplache, l’hypo- d’hyposcience, le -oir de tintoir, l’ultra- d’ultramédian, le -mane de caouamane...Ce sont les affixes !
Acteurs déterminants souvent relégués à la figuration, l’intérêt qu’ils présentent ne se limite pas à la grammaire et à la linguistique. Ils se distinguent d’abord par leur grand nombre, ils modulent la basse du discours ; d’emploi facile et familier, ils se succèdent tour à tour en concurrence et en opposition ; ils sont au cœur des expressions contemporaines ; leur champ d’application, de signification — scientifique, poétique, politique... — ne connaît pas de restriction ; ils ne sont étrangers à aucune des questions qui s’y rapportent et constituent des biais tout indiqués pour s’en saisir.
Qu’assènent-ils au langage et combien l’articulent-ils ? Que disent-ils, taisent-ils de nous et de notre temps ?
Affixe, revue de création littéraire, entreprend à chacun de ses numéros de circonscrire un préfixe ou un suffixe. Elle le soumet à l’interprétation et l’écriture d’autrices et auteurs, à un examen créatogène. La réunion de leurs textes sonde la complexité de l’affixe; la langue, les usages, les idées; notre époque, ses conflits, ses enjeux.Pour débuter, le suffixe -ment nous avait sauté aux yeux, celui de réchauffement, changement, appauvrissement, harcèlement, remplacement, effondrement, ensauvagement... En deuxième lieu, c’est le préfixe dé-, double, qui s’est imposé à nous, celui de décroissance, dérèglement, déconstruction, décivilisation, décolonisation, dénazification...
Ici, depuis deux ans, la revue Affixe intervient : elle invite, pour un temps, pour quelques pages, à participer à ce tournoiement, ce détournement en retournement, à faire face au lexique actuel, à l’observer et le questionner et l’enquiquiner. Il s’agit d’une revue affixe par affixe, une invitation à composer, essayer, rapporter, raconter, digresser, penser, en liberté, à leur écoute.
Acteurs déterminants souvent relégués à la figuration, l’intérêt qu’ils présentent ne se limite pas à la grammaire et à la linguistique. Ils se distinguent d’abord par leur grand nombre, ils modulent la basse du discours ; d’emploi facile et familier, ils se succèdent tour à tour en concurrence et en opposition ; ils sont au cœur des expressions contemporaines ; leur champ d’application, de signification — scientifique, poétique, politique... — ne connaît pas de restriction ; ils ne sont étrangers à aucune des questions qui s’y rapportent et constituent des biais tout indiqués pour s’en saisir.
Qu’assènent-ils au langage et combien l’articulent-ils ? Que disent-ils, taisent-ils de nous et de notre temps ?
Affixe, revue de création littéraire, entreprend à chacun de ses numéros de circonscrire un préfixe ou un suffixe. Elle le soumet à l’interprétation et l’écriture d’autrices et auteurs, à un examen créatogène. La réunion de leurs textes sonde la complexité de l’affixe; la langue, les usages, les idées; notre époque, ses conflits, ses enjeux.Pour débuter, le suffixe -ment nous avait sauté aux yeux, celui de réchauffement, changement, appauvrissement, harcèlement, remplacement, effondrement, ensauvagement... En deuxième lieu, c’est le préfixe dé-, double, qui s’est imposé à nous, celui de décroissance, dérèglement, déconstruction, décivilisation, décolonisation, dénazification...
Ici, depuis deux ans, la revue Affixe intervient : elle invite, pour un temps, pour quelques pages, à participer à ce tournoiement, ce détournement en retournement, à faire face au lexique actuel, à l’observer et le questionner et l’enquiquiner. Il s’agit d’une revue affixe par affixe, une invitation à composer, essayer, rapporter, raconter, digresser, penser, en liberté, à leur écoute.
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Le -té — aussi allongé en -ité et -eté — signifie la qualité ; soit, sans tautologie, ce qui fait d’une chose qu’elle est cette chose. Lui convient d’autant mieux l’association au mot qualité que qualitas, son ascendant latin, se compose justement de qualis, l’adjectif quel, et du suffixe -tas, égal à son homologue moderne. D’une part, il s’agit de la possession de ladite qualité ; on peut alors le traduire par « le fait d’être... » : où la faisabilité s’entend comme le fait d’être faisable, la plasticité comme le fait d’être plastique, la fidélité comme le fait d’être fidèle, et cætera. D’autre part, il s’agit de la nature de celle-ci, alors traduisible par « ce en quoi consiste être... » — un apriori, un chassis sur lequel toute question demande encore à être posée : où la légèreté s’entend comme ce en quoi consiste être léger, la grossièreté comme ce en quoi consiste être grossier, la clandestinité comme ce en quoi consiste être clandestin, et cætera. Ces deux significations variant simplement selon le contexte.
Il en devient lourd de sens lorsque les discours le chargent volontiers du poids des idées, opinions et préjugés ; lorsqu’il revêt telle ou telle couleur politique. Il suffit de songer, en vrac, à la nationalité, la citoyenneté, la civilité, la laïcité, la religiosité, la chrétienté, la judéité, la francité, l’européanité, la slavité, la communauté, la diversité, l’invalidité, l’égalité, la fraternité, la sororité, la féminité, la masculinité, la fluidité, toutes les sexualités... Toute identité, toute liberté, jusqu’au cœur de l’intimité.
Sa visée conceptuelle et l’autorité que celle-ci lui confère ne nourrissent-elles pas un malentendu, et des malversations, entre préhension et définition d’une part, et pureté et absolu d’autre part ? Faut-il y entendre — ne veut-on pas y faire entendre — l’unité monolithique ? ou y a-t-il place pour le pluriel et le varié ? Faut-il y entendre — ne veut-on pas y faire entendre — des caractères quantifiables et exclusifs ? ou y a-t-il place pour l’irréductible et le complémentaire ?
Les autrices et les auteurs qui composent ce troisième numéro d’Affixe : Norah Benarrosh Orsoni, Anna Cognet-Kayem & Judith Perez, Patricia Ganaj, Nina Guillod, Nathalie Koble, Yvan Leclerc, Elie Petit, Tania Sánchez, Tugdual ; donnent à lire un jeu de hasard, un enracinement artificiel, une remontée sémantique, un saute-mouton universel, un transport olfactif, un agenrement de conscience, une optimisation diurétique, un auditeur vigilant, un cliché balnéaire.
Et leur réunion esquisse une définition multi-personnelle et décantée de cet affixe tantôt bannière fédératrice, tantôt assignation. Une invitation à chacune et chacun de le réinterpréter à leur tour.
Il en devient lourd de sens lorsque les discours le chargent volontiers du poids des idées, opinions et préjugés ; lorsqu’il revêt telle ou telle couleur politique. Il suffit de songer, en vrac, à la nationalité, la citoyenneté, la civilité, la laïcité, la religiosité, la chrétienté, la judéité, la francité, l’européanité, la slavité, la communauté, la diversité, l’invalidité, l’égalité, la fraternité, la sororité, la féminité, la masculinité, la fluidité, toutes les sexualités... Toute identité, toute liberté, jusqu’au cœur de l’intimité.
Sa visée conceptuelle et l’autorité que celle-ci lui confère ne nourrissent-elles pas un malentendu, et des malversations, entre préhension et définition d’une part, et pureté et absolu d’autre part ? Faut-il y entendre — ne veut-on pas y faire entendre — l’unité monolithique ? ou y a-t-il place pour le pluriel et le varié ? Faut-il y entendre — ne veut-on pas y faire entendre — des caractères quantifiables et exclusifs ? ou y a-t-il place pour l’irréductible et le complémentaire ?
Les autrices et les auteurs qui composent ce troisième numéro d’Affixe : Norah Benarrosh Orsoni, Anna Cognet-Kayem & Judith Perez, Patricia Ganaj, Nina Guillod, Nathalie Koble, Yvan Leclerc, Elie Petit, Tania Sánchez, Tugdual ; donnent à lire un jeu de hasard, un enracinement artificiel, une remontée sémantique, un saute-mouton universel, un transport olfactif, un agenrement de conscience, une optimisation diurétique, un auditeur vigilant, un cliché balnéaire.
Et leur réunion esquisse une définition multi-personnelle et décantée de cet affixe tantôt bannière fédératrice, tantôt assignation. Une invitation à chacune et chacun de le réinterpréter à leur tour.

