avant-propos



Ce sont le méta- de métadonnée, le super- de superprofit, le sur- de surprofit, l’hyper- d’hyperinflation, le méga- de mégabassine, le -ide de néonicotinoïde, le -phile de germanophile, le -phobe de germaphobe, le -ité d’identité, le -ment de réarmement, le -isme de séparatisme, le -tion de migration, le -ade de noyade, le -cide de féminicide. L’anti- d’antivax, le pro- de prodémocratie, l’ultra- d’ultradroite et d’ultragauche, le post- de postfascisme, le néo- de néonazisme, le mé- de mégenrer, les co- et con- de coconstruire et de conspirer.

Ce sont les -ard et -arde, le -asse, le -âtre, le -ache, les -ot et -otte, l’apo-, le -fère. Les inter- et entre-, l’intra-, le sy-, l’ergo, le para-, le sous-, le sub-, le sus-, l’anté-, le primo-, le circon-.

Le semi- de semiconducteur, le télé- de télétravail, le cyber- de cyberharcèlement, le crypto- de cryptomonnaie, le zoo- de zoonose, l’endo- d’endocrinien, l’éco- d’écoterroriste, l’euro- ­d’eurodéputé, l’uni- d’unilatéralisme, le multi- de multirécidiviste, le poly- de polytraumatisé, le pré- de présomption, l’ex- ­d’exemplarité, les ré- et re- de répression et de remaniement, le -logue de sociologue, le pseudo- de pseudosciences, les -eux et -euse de délictueux et d’infectieuse, le -esque de burlesque.

Ab-, -al et -ale, -el et -elle, -et et -ette, -aire, -if et -ive, é-, en-, in-, im-, ir-, extra-. Homo-, hétéro-, cis-, trans-, auto-, moto-, radio-, rétro-, bio-. Proto-, -cole, arch-, -type, a-, -tome, vidéo-, -thèque, micro-, -phone, exo-, -gène, macro-, -mère, agro-, -nome, penta-, -èdre, octo-, -gone, -ique.

Pionnier, sorcière, sècheresse, tombeau, français, javanaise, bouquin, famine, paysan, partisane, pénurie, numérique, salariat, servitude, préfecture, instagrameur, youtubeuse, ukrainien, onusienne, contemporain, républicaine, hectolitre, ronnamètre, quettagramme, postéromanie, chleuasme, xioïde.

Le dé-.

Ce sont les affixes. Acteurs déterminants souvent relégués à la figuration. Qu’assènent-ils au langage et combien l’articulent-ils ? Que disent-ils, taisent-ils de nous et de notre temps ?

Affixe, revue de création littéraire, consacre chacun de ses numéros à un préfixe ou suffixe, et soumet celui-ci à ­l’interprétation et l’écriture d’autrices et auteurs, afin d’éclairer, par la réunion de leurs textes, la langue, les usages, les idées.

Nous soutenons que l’intérêt que présentent les affixes, ne se limite pas à la grammaire et à la linguistique ; que, se ­distinguant d’abord par leur grand nombre, ils modulent la basse du discours ; que, d’emploi facile et familier, ils se succèdent tour à tour en concurrence et en opposition ; qu’ils sont au cœur des expressions contemporaines ; que leurs champs d’application, de signification — scientifique, poétique, politique… — ne connaissent pas de restriction ; qu’ils ne sont étrangers à aucune des questions qui s’y rapportent, et des biais tout indiqués pour s’en saisir.

Dès lors, par l’ensemble de ses contributions, la revue entreprend de circonscrire un affixe, ainsi que sa multiplicité inhérente, et, ce faisant, de sonder notre époque, ses conflits, ses enjeux. Pour débuter, le suffixe -ment nous avait sauté aux yeux, celui de réchauffement, changement, appauvrissement, harcèlement, remplacement, effondrement, ensauvagement… En deuxième lieu, c’est le préfixe dé- qui s’impose à nous, omniprésent : tenu comme ambition radicale ou pour péril mortel, formateur de décroissance ou dérèglement, déconstruit ou décivilisation, décolonial ou dénazifier.

Dé- est double. Derrière cette même syllabe se découvrent deux morphèmes. Ceux-ci descendent de deux préfixes latins distincts, respectivement dis- et de-. Le premier, le plus courant, s’adjoint aux mots pour en exprimer la privation, la négation, le contraire… Le second exprime le renforcement d’une action, l’augmentant, l’intensifiant — celui de définition, dédoublement, détermination, démonstration… Faudrait-il voir dans la prédominance de l’un sur l’autre une propension à défaire bien davantage qu’à parfaire ?

Les autrices et les auteurs qui composent ce deuxième numéro d’Affixe : Samantha Barendson, Camille Bleker, Dorothée Coll, Aline Dethise, Gabriel Gauthier, Gaspard-Marie Janvier, Lou Kanche, Nathalie Koble, Emmanuelle Riendeau, Maria Roubstova, Lucie Taïeb et Paul Vermersch, nous invitent à reconsidérer le dé-. Leurs textes donnent à lire une perte de sens et d’intérêt moderne et familière, le rêve d’une Russie demain, un sentiment amoureux très vulnérable, un souhait malherbien, un songe magrittien, une prière intranquille, un rite aussi macabre qu’impromptu,
une mise au point écologiste, un jeu de résurrection… S’y entremêlent trois entretiens poétiques autour du préfixe dé-.
Par cette somme se dessine une définition multi-­personnelle et décantée de cet affixe, faiseur de rimes par l’avant, outil de détournement, marqueur tranchant. Une invitation à définitions.


conception et direction : TUGDUAL DE MOREL & ELIE PETIT
édition : JUSQU’À L’ÉPUISEMENT DES QUESTIONS
impression : TYPO’LIBRIS (FRANCE), N° 22100419

ISBN : 9 782958 559595 • prix de vente : 8€ (frais de port : 2€)

avec le soutien de la Fondation Jan Michalski et de Mots-Clés